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Franck Gervais, un capitaine à la barre

Économie – 22 août 2022

Franck Gervais, directeur général du groupe Pierre & Vacances, a dû faire face en 2021 à la plus importante crise du groupe. Fraichement nommé à la direction générale, succédant à Gérard Bremont, deux semaines seulement après son arrivée, a dû redresser la barre pour tenter de sauver un groupe qui comptabilisait plus de 800 millions d’euros de dettes. Comment est-il parvenu à maintenir le groupe à flot ? La procédure de concialiation a-t-elle porté des fruits ? Retour sur une année 2021, qui rime avec restructuration et adossement pour l’opérateur du tourisme.

Au premier septembre 2021, selon France Stratégie*, les défaillances d’entreprises ont chuté de 48% par rapport à l’année précédente (soit 14 600 entreprises versus 28 000 en 2020). Comment expliquez-vous ce phénomène en pleine crise sanitaire ? 

Effectivement, cette baisse a été significative ces deux dernières années, mais elle est encore plus forte dans certains secteurs particulièrement touchés. Ce fut le cas de l’hôtellerie et de la restauration où les défaillances ont chuté de plus de 60% en 2 ans. L’immense majorité de ces structures touchées sont des microentreprises. L’analyse de ce phénomène est l’effet du quoi qu’il en coute, avec les aides de l’Etat comme le PGE, l’activité partielle, qui a représenté un soutien incontestable à des pans entiers de l’économie. Des aides sectorielles ont été également mises en place, comme les aides « dits coûts fixes » néanmoins insuffisantes au regard de la taille des entreprises et aux pertes subies durant cette période de crise sanitaire par les grands acteurs du tourisme y compris pour notre groupe. Mais à l’évidence, ces dispositifs ont permis à l’économie et aux entreprises de résister.

Je pense que la mise en place des PGE a eu un effet rebond sur l’économie française. Car l’un des sujets clefs sous-jacent concerne la capacité d’investissement des entreprises à cette période, qui, avec l’aide des PGE, ont eu plus de liquidités disponibles. Et investir dans ces périodes de sous-activité, s’avère pertinent, dès lors évidemment qu’il y a une capacité à rembourser ces prêts. Selon moi, c’est plutôt une très bonne nouvelle, cela a permis de renforcer le tissu économique français et comme il y a eu un étalement des PGE, cela aura tout de même permis un effet rebond pour de nombreuses entreprises mais également pour préparer l’avenir. 

Tout d’abord, je souhaite revenir sur cette crise qui a été selon moi la plus difficile pour le secteur et donc pour le groupe. Nous n’avions jamais vécu cela auparavant. Sur 16 mois, nous avons dû fermer pendant 5 mois l’ensemble de nos résidences Pierre & Vacances, Adagio et nos domaines Center Parcs en France et en Europe. Puis durant 11 mois, nous avons pu certes les exploiter mais avec des restrictions majeures (mise en place de systèmes de jauges dans nos espaces aquatiques, fermeture des restaurants, des remontées mécaniques etc.). L’impact de cela a été une perte de chiffre d’affaires de 800 millions d’euros, soit une perte de marge opérationnelle de 400 millions. Nous avons connu une chute de nos taux de remplissage. Il y a un an, sur la période de novembre 2020 à février 2021, Center Parcs par exemple, a enregistré une baisse de 96%. Face à cela, le groupe a réagi de façon exemplaire, et très énergique sur tout un ensemble de sujets. Nous avons choisi de mettre en place l’activité partielle pour l’ensemble de nos collaborateurs sur l’ensemble de nos sites. Le premier sujet étant de préserver la trésorerie du groupe. Nous avons contracté un PGE en 2020 de 240 millions d’euros, et un nouvel emprunt de 300 millions d’euros en juin 2021, qui lui aussi comportait un PGE d’un montant de 34 millions. En un an, le groupe s’est ainsi endetté de 540 millions d’euros. En février, quelques semaines après mon arrivée, nous étions dans le bureau du Président du Tribunal de commerce de Paris pour solliciter l’ouverture d’une procédure amiable de conciliation, , afin de trouver des accords avec nos principaux créanciers dont nos propriétaires institutionnels et individuels. Notre idée était de se mettre tous autour de la table pour faire face à cette situation inédite, ensemble, et de discuter de tout qui devait être fait, collectivement, pour que le groupe survive. Durant cette période, nous avons dû suspendre nos loyers auprès de nos propriétaires, tout simplement parce que notre trésorerie ne nous permettait pas de les régler ; nous avons également discuté de ce que le groupe pouvait raisonnablement payer dans une logique où chacun faisait une partie de l’effort pour pouvoir se projeter dans la poursuite de l’exploitation du groupe. C’était tout l’enjeu de cette conciliation. Il était véritablement question du sauvetage du groupe en 2021. D’un côté, nous avons dû agir à court terme pour préserver notre trésorerie, et de l’autre, nous avons dû nous projeter en 2025 en repensant sa stratégie d’ensemble. Nous avons choisi de faire ces deux exercices en même temps, tout en réfléchissant à une ouverture du capital pour permettre une injection de nouveaux fonds propres.

Cette dette endémique du groupe a provoqué une remise en perspective complète de vos activités, et la mise en œuvre d’un nouveau plan stratégique sur quatre années. De quelles manières comptez-vous retourner à l’équilibre, à l’horizon 2025 ?

Nous avons écrit notre « equity story », avec un nouveau plan stratégique baptisé « Réinvention 2025 », incluant un nouveau business plan. Tout juste après avoir sécurisé les financements du groupe, dès le redémarrage des activités, cet été 2021, un processus d’adossement a pris le dessus et a abouti à la signature d’un accord exclusif avec un consortium d’investisseurs le 17 décembre dernier. L’année 2021 a été pour nous une année de sauvetage ; et 2022 sera une année de reconquête par la création de revenus, du fait de la montée en gamme de nos produits et la bascule vers des offres expérientielles et immersives ; mais aussi par un gros effort de réduction sur le volet coûts, avec en particulier une baisse de nos frais de structure, afin d’améliorer la performance du groupe.

En quoi consiste cette procédure d’adossement et de restructuration de la dette ? Quels en sont les contours ? Cet accord d’exclusivité* et ce nouveau tour de table suffira-t-il à redresser votre groupe qui compte désormais près de 800 millions d’euros de dettes ?

Le 17 décembre dernier, nous avons conclu un accord d’exclusivité avec un consortium d’investisseurs composé d’Alcentra, Fidera et Atream. Leur offre répondait parfaitement à nos attentes de maintenir le groupe dans son intégralité avec une structure financière rééquilibrée. L’intégrité du groupe demeure préservée : il était très important pour nous de maintenir unifier ces 4 marques touristiques, Pierre & Vacances, Center Parcs, Adagio et Maëva, tout d’abord pour le maintien de l’emploi, mais aussi pour des raisons stratégiques, car le groupe ainsi constitué porte une vision commune « Réinvention » qui répond à l’ensemble du spectre d’expériences attendues par nos clients. De la location de villas entre particuliers aux campings, en passant par des domaines en pleine nature, et des résidences de tourisme à la mer, à la montagne, en France et en Europe. Nous avons très bien accompagnés durant cette opération, notamment par notre conciliateur Frédéric Abitbol, le cabinet De Pardieu, et enfin les banques d’affaires Rothschild & De Groof. Le deuxième volet de cette offre est l’apport en fonds propres de 200 millions d’euros et un désendettement du groupe à hauteur de 710 millions d’euros (550 millions de dettes converties en capital et 160 millions d’euros remboursés). Enfin, le troisième volet concerne le soutien du groupe dans son développement via la création d’une foncière dédiée, pour gérer toujours plus d’actifs, de stocks, d’appartements, et de cottages. En résumé, cette offre reçue du consortium valide complètement la stratégie du groupe. De plus, l’un des trois investisseurs -Atream- possède déjà quatre Center Parcs, tandis qu’Alcentra et Fidera sont également impliqués au sein du groupe en tant que créanciers. 

Dans votre plan stratégique « Réinvention 2025» vous faites état d’une nouvelle vision « digitale, personnalisée et expérientielle » pour assurer la future croissance du groupe. Comment comptez-vous conjuguer cette « digitalisation » à une expérience client présentielle ?

« Réinvention 2025 » est l’idée d’un nouveau tourisme de proximité, fondé sur une authenticité et de l’ultra-local, en lien avec les territoires. La vision d’un nouveau tourisme basée à la fois sur le plaisir et la découverte, le tout proche de chez soi. Nos trois piliers stratégiques sont l’expérience client, la responsabilité sociétale et environnementale, et bien évidemment au cœur, les hommes et femmes qui composent notre groupe, car l’accueil par nos équipes sur sites est primordial pour un séjour réussi. Toutes nos offres sont dictées par ces trois piliers, et par la découverte des territoires de la nature. L’expérience client est à la fois physique et digitale en ce sens que tout ce que nous pouvons digitaliser (les réservations, l’accès à nos piscines, les choix d’activités sur sites etc.) est effectivement mis en place pour un parcours client fluide. Par exemple, chez Center Parcs, nous utilisons des bracelets connectés pour les accès aux cottages, aux activités, et aux casiers des espaces aquatiques. Nous apportons de la praticité à nos clients en leur permettant de réserver et de consulter des informations à tout moment via différents canaux (web, application mobile, kiosque d’informations). De manière générale, tout ce qui n’a pas de valeur ajoutée du point de vue de l’humain est digitalisé pour optimiser l’expérience client au sein de nos centres de vacances. 

Enfin, selon le dernier rapport de France Stratégie***, l’un des axes prioritaires en matière de défis économiques pour le pays, est le changement climatique. De plus, la promulgation de la Loi Pacte contraint désormais les dirigeants à la prise en compte des dimensions sociétales et environnementales, dans leur politique de gouvernance, en sus de leur mission économique. Quelle est votre stratégie, en matière de RSE, au sein du groupe ?

La RSE* est vraiment l’un de nos trois piliers de la stratégie « Réinvention 2025″. Notre raison d’être « que chacun redécouvre l’essentiel dans un environnement préservé » nous guide au quotidien. En tant qu’acteur européen du tourisme de proximité, nous avons une responsabilité, et nous souhaitons agir pour un tourisme à impact positif. Pour cela, nous allons accélérer notre transition écologique, contribuer au dynamisme des territoires et enfin, engager nos clients et nos collaborateurs dans ce tourisme durable. A l’issue de leurs séjours, nos clients ne seront plus les mêmes. Nous souhaitons faire rayonner les atouts touristiques des territoires dans lesquels nous sommes implantés. Enfin, sur le volet transition écologique, notre volonté est de contribuer à la neutralité carbone à horizon 2030. Par exemple, pour tous nos nouveaux projets, nous les concevrons différemment en concertation avec les acteurs locaux, et nous privilégierons la réhabilitation de bâtiments. Tout ceci dans un seul et même objectif : limiter notre empreinte et créer de la valeur.

*France Stratégie : centre d’analyse autonome dépendant du Premier Ministre –
** Listes des entreprises les plus économiquement touchées par la crise du Covid-19 –
*** Rapport des principaux défis économiques pour la France –