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Il faudrait revenir à des délais plus raisonnables pour l’arbitrage

Tech – 12 janvier 2023

Une vision grand angle des mutations en cours dans le monde de l’arbitrage international par Carine Dupeyron et Laurent Aynès, au sein de Darrois Villey Maillot Brochier

 

Le monde de l’arbitrage international est en mutation. Cette justice privée, qui permet de s’abstenir de recours devant le juge judiciaire, présente aujourd’hui des signes d’essoufflement, en raison principalement de la durée et des coûts de procédure.

“Si ce mécanisme de résolution des conflits a fait ses preuves dans le passé et reste essentiel dans le cadre des litiges internationaux, les opérateurs pourraient aujourd’hui s’en détourner pour favoriser des solutions transactionnelles, jugées plus efficaces”

Si ce mécanisme de résolution des conflits a fait ses preuves dans le passé et reste essentiel dans le cadre des litiges internationaux, les opérateurs pourraient aujourd’hui s’en détourner pour favoriser des solutions transactionnelles, jugées plus efficaces. Carine Dupeyron et Laurent Aynès, associés au département Contentieux et arbitrage international chez Darrois Villey Maillot Brochier, proposent des solutions pour contrôler en amont la procédure, notamment dès la rédaction de la clause arbitrage.

La rencontre dans un tribunal arbitral

Leur première rencontre a lieu en 2013 à l’occasion d’une affaire portée devant un tribunal arbitral. Les arguments avancés par Carine Dupeyron, qui défend alors Orange, sont aussi précis que techniques, et font écho auprès de Laurent Aynès qui s’en souviendra quelques années plus tard, lors de la constitution de son équipe Arbitrage chez Darrois Villey Maillot Brochier. Les deux experts auront eu un parcours très différent. Outre une formation en école de commerce suivie d’une maîtrise en droit des affaires à Paris Panthéon-Assas, le cursus de Carine Dupeyron affiche une prédominance internationale.
Laurent Aynès a de son côté une “triple” casquette : professeur de droit agrégé depuis 1982, à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne où il enseignera le droit des contrats de 1989 à 2017, avocat, consultant et arbitre. Si Carine Dupeyron intervient en première ligne sur les dossiers d’arbitrage, Laurent Aynès joue quant à lui un rôle d’orientation de la stratégie et de l’argumentation. En 2019, elle sera reconnue par le Who’s Who Legal (WWL) comme faisant partie des 10 conseils en arbitrage et arbitres en Europe les plus réputés. La ‘Global Arbitration Review’ positionne également Laurent Aynès comme étant dans le Top 10 des meilleurs arbitres en Europe, et Legal 500 le place en 3e position au niveau mondial (catégorie Dispute resolution : international arbitration).

Arbitres, conseils et partageurs de savoirs

L’une des forces du duo tient à cette double expertise, à la fois en tant qu’arbitre et avocat. Ils interviennent tous deux à ce titre, régulièrement comme président, arbitre unique ou co-arbitre dans le cadre de procédures menées en français, anglais et, pour Carine Dupeyron, également en espagnol, et sont en mesure de rédiger des sentences dans chacune de ces langues.
Lorsqu’ils officient en qualité de conseils lors des procédures d’arbitrage, cela leur permet de cerner la manière dont l’affaire doit être présentée au tribunal pour être pleinement comprise… Cette double approche, associée à une volonté de partage et de transmission des savoirs, profite à l’ensemble des collaborateurs du département Arbitrage, qui bénéficient d’une “formation continue”, selon Laurent Aynès.

“L’une des forces du duo tient à cette double expertise, à la fois en tant qu’arbitre et avocat. Ils interviennent tous deux à ce titre, régulièrement comme président, arbitre unique ou co-arbitre”

Parmi les affaires récentes les plus emblématiques traitées par le duo figure une procédure impliquant EDF, portant des questions de force majeure et d’imprévision liées au contexte économique de l’énergie. Carine Dupeyron et Laurent Aynès étaient également en première ligne du recours en annulation dans l’affaire KFG (Koot Food Group) versus Kabab-Ji, qui portait sur une sentence attaquée devant les juridictions anglaises et françaises. Le duo a soulevé à cet effet plusieurs questions de principes du droit de l’arbitrage, qui ont été décidées de manière radicalement opposée par les deux juridictions, soulevant alors de nombreuses interrogations de la part des praticiens de l’arbitrage international quant à leur application. “Le choix de l’arbitrage est fondamental dans une affaire” indique Carine Dupeyron.
Le duo officie également dans le secteur de la défense, en conseillant notamment l’Otan dans le cadre d’un différend lié à la pandémie. Ils représentent également la société d’armement Odas sur des problématiques contractuelles concernant des accords commerciaux signés avec l’Arabie saoudite, avant la montée au pouvoir de Mohammed Ben Salmane.

Mutation de l’arbitrage, une tendance à la négociation

Depuis quelques années, le marché de l’arbitrage est en mutation, et force est de constater que la pratique évolue vers une accentuation de la tendance à la négociation par les parties. Les procédures de médiation et de conciliation se multiplient, car en sus des coûts élevés pour résoudre leurs litiges, les clients opposent également le fait de ne pas vouloir courir de risque réputationnel. Et pour cause, car qui souhaiterait entrer en relation d’affaires avec un acteur belliqueux ? Cela est particulièrement vrai pour les entreprises répondant aux appels d’offres sur les marchés publics. En outre, la durée des procédures est jugée trop longue. Malgré la révision du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale en 2021, destinée à améliorer la flexibilité, l’efficacité et la transparence de celles-ci, elles sont en moyenne de 17 à 20 mois, selon le cabinet Squire Patton Boggs, pour des coûts pouvant osciller entre 2,3 et 2,5 millions de dollars par affaire, dont 74 % affectés aux honoraires d’avocats. “La tendance de fond tient à la systématisation d’une volonté de réduction des délais et des coûts des procédures d’arbitrage” résume Laurent Aynès. Selon les deux praticiens, il existe pourtant des moyens de contrôler la durée de la procédure en amont, notamment lors de la rédaction de la clause arbitrage, celle-ci ayant un impact significatif sur les coûts de l’affaire. “Il faudrait revenir à des délais plus raisonnables pour l’arbitrage, et nous en sommes capables” indique Carine Dupeyron.

“Le marché de l’arbitrage est en mutation, et force est de constater que la pratique évolue vers une accentuation de la tendance à la négociation par les parties”

Parmi les options proposées pour que la pratique continue de s’adapter aux exigences du monde des affaires, l’une des pistes serait de procéder à un arbitrage “accéléré”, en s’inspirant de ce que prévoit, pour l’arbitrage d’investissement, la Convention CIRDI (Règlements 2022, chapitre XII). Dans ce cadre précis, un seul arbitre est nommé par la Cour internationale, et les délais peuvent être réduits à 10 mois en moyenne*. Si les parties ont consenti à un arbitrage accéléré, elles peuvent convenir de s’en désengager à tout moment (article 86 du Règlement d’arbitrage). En sachant que des affaires hautement complexes nécessitent un temps incompressible d’analyse et de traitement du dossier, quid d’une adaptation des règles existantes pour continuer d’assurer l’efficacité de l’arbitrage ?

* Source Chambre de commerce de Stockholm