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“Il faut que l’entreprise apporte la preuve d’une réelle transformation dans son secteur” La remontée des taux d’intérêt et l’inflation rendent certains acteurs de l’equity plus “frileux et sélectifs”. Entretien avec Emmanuel Laillier de Tikehau Capital.

Économie – 11 janvier 2023

“Nous sommes plus attentifs aux secteurs dans lesquels nous investissons”

 Emmanuel Laillier de Tikehau Capital – © David Morganti

Tous les acteurs du private equity sont unanimes : cette période est complexe, et nombre d’opérations ont dû être reportées, voir annulées pour certaines (voir notre article sur Bpifrance). Pourtant, les entreprises ont plus que jamais besoin de faire rentrer de nouveaux capitaux pour opérer des choix stratégiques en vue de poursuivre leur développement. Les fonds d’investissement peuvent représenter une alternative au financement bancaire, les liquidités obtenues permettant d’assurer les besoins en trésorerie à court et moyen terme sans pour autant modifier en profondeur les organes de gouvernance de l’entreprise. Les fonds ont tantôt une approche généraliste, comme Bpifrance, tantôt sectorielle, à l’instar de Tikehau Capital, qui investit des montants compris entre 20 et 150 millions d’euros sur le segment small cap.

“Nous devons anticiper une inflation des salaires, qui va s’ajouter à celle des matières premières et de l’énergie, et identifier les méga-tendances, moins soumises à ces aléas”

Emmanuel Laillier, directeur du private equity chez Tikehau Capital, confirme que le fonds conserve son dynamisme d’antan. “Nous sommes plus prudents qu’auparavant, mais restons très actifs” précise-t-il. La baisse fulgurante des valorisations dans le secteur de la Tech n’a pas impacté le fonds, mais pousse à redoubler de vigilance pour les prochaines opérations d’investissement. “Nous devons anticiper une inflation des salaires, qui va s’ajouter à celle des matières premières et de l’énergie, et identifier les méga-tendances, moins soumises à ces aléas” indique-t-il. Les robinets sont-ils fermés pour autant ? “Moins de capitaux, non. Nous sommes plus attentifs aux secteurs sur lesquels nous investissons” confirme le directeur du département private equity. Les secteurs cibles en cette fin d’année sont clairement identifiés : l’aéronautique, la cybersécurité, la transition énergétique et le digital, en particulier les pure-players offrant de fortes perspectives de croissance.

Entreprises tricolores tournées vers l’international

Parmi les deals les plus emblématiques réalisés au cours de ces deux dernières années figure notamment la prise de participation minoritaire au sein du média Brut. Le fonds tricolore y a fait son entrée en 2021, aux côtés de James Murdoch, Artémis, et Orange Ventures. Fondé en 2006 par des anciens cadres des groupes TF1 et Canal + (Guillaume Lacroix, Renaud Le Van Kim, Laurent Lucas et Roger Coste), le média tricolore a opéré un tour de table de 63 millions de dollars pour renforcer ses positions à l’étranger, notamment aux États-Unis, en Inde et en Afrique. Les thèses d’investissement de Tikehau Capital sont centrées vers le soutien aux entreprises tricolores, à savoir les PME, ETI et start-up, à condition que celles-ci soient tournées vers l’international. Ainsi, l’entreprise Mint, spécialisée dans la planification et l’achat de publicité, a vu son capital racheté à hauteur de 25 % en 2021 par Tikehau Capital. Une aubaine, pour cette “MADTech” (Marketing, Advertising, Technology) en croissance rapide, qui souhaitait étendre ses activités en Europe. Autre opération emblématique, la reprise du Groupe Sterne, basé à Bordeaux, en octobre 2021, via le fonds en capital-développement T2 Energy Transition et Meanings Capital Partners de Tikehau. Un investissement opéré aux côtés d’Arkéa Capital, de l’équipe de direction du groupe, de Meaning Capital Partners, Idia Capital Investissement et GSO Capital. Et enfin, le dernier investissement en date, la prise minoritaire dans l’entreprise Probe Test Solutions Limited (PTSL), acteur majeur de la fabrication de cartes sondes pour semi-conducteurs, à hauteur de 30 millions de dollars.

Les conditions d’accès au financement chez Tikehau Capital sont certes “sélectives”. Il est toutefois possible d’attirer l’attention des comités d’attribution, en misant sur une stratégie de développement intégrant des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Est-ce un point déterminant pour l’obtention de capitaux ? “Pas uniquement. Il faut que l’entreprise apporte la preuve d’une réelle transformation dans son secteur, et de surcroît qu’elle peut se renforcer à l’échelle européenne” confirme Emmanuel Laillier. Notamment en nouant des partenariats stratégiques dans les pays voisins, ce qui lui permet d’accroître sa résilience et de contourner l’ouverture – coûteuse – de filiales à l’étranger.

“Il faut que l’entreprise apporte la preuve d’une réelle transformation dans son secteur, et de surcroît qu’elle peut se renforcer à l’échelle européenne”

Autre critère motivant l’investissement, miser sur des pépites d’avenir. En 2021, Tikehau Capital a pris une participation minoritaire au sein du groupe Oryx (Proprietes-privees.com), avec un ticket d’entrée de 100 millions d’euros, pour accompagner le développement de son réseau de mandataires immobiliers. L’entreprise, qui a vocation à se développer en France et à l’international, affiche un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros en 2021, pour une croissance annuelle moyenne de 35 %. En début d’année également, Tikehau Capital a pris une participation de 40 %, aux côtés de la Caisse des Dépôts, dans l’entreprise Egis, qui exploite des infrastructures et des bâtiments bas carbone. Par ces investissements, le fonds en capital-développement vise surtout à créer “des champions européens” en misant sur des entreprises tricolores à forte croissance, leaders dans leur segment de marché.

Investissements small cap réalisés dans les PME/ETI (en nombre d’opérations, et millions d’euros)

2020 : 7 opérations / 225,7 millions d’euros
2021 : 9 opérations / 318,1 millions d’euros
2022 : 9 opérations / 421,2 millions d’euros (au 30/09/2022)

– Ticket d’entrée : 20 à 150 millions d’euros
– Entreprises cibles : PME/ETI/start-up en très forte croissante
– Approche multisectorielle (secteurs prioritaires l’aéronautique, la cybersécurité, la transition énergétique et le digital)

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