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"L'intelligence artificielle permet d'augmenter les capacités de l'être humain "

Tech – 26 novembre 2018

L’Intelligence Artificielle est depuis des semaines voire des mois, au cœur de l’actualité du monde digital et la Tech Française. Deux mots qui sonnent pour certains comme le glas de la peur et pour d’autres, comme un outil puissant permettant d’ouvrir le champ des possibles.

Pour tenter d’en savoir plus sur ce phénomène, nous avons rencontré Arnaud Le Roux.

Décrit comme un « slasheur » ou encore comme l’un des pionniers du Web, nous l’avons interrogé sur sa vision de l’Intelligence Artificielle, ses apports et limites au monde et surtout sur ses applications concrètes dans les domaines de l’économie et de la santé.

Rencontre

CV - Arnaud Le Roux pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Certains me décrivent comme un influenceur, mais je n’aime pas ce terme. Je préfère me voir comme un « slasheur » du digital. En effet cela fait 22 ans que je gravite dans le domaine et que j’exerce plusieurs types d’activités (Conférencier, prof, formateur, directeur digital, mentor, consultant, etc etc ..)

Côté IA, je ne suis pas un technicien mais suis plutôt quelqu’un orienté « usage-centric ». J’ai co-conçu plusieurs intelligences artificielles depuis octobre 2010, mais toujours en équipe, et avec des compagnons plus techniques que moi. Ce qui m’intéresse le plus dans l’IA ce sont ses apports et usages au quotidien. C’est pourquoi je préfère davantage parler de l’AI dans ses usages que sur le plan technique.

CV - Comment vous est venu cet engouement pour le digital ?

Mon histoire démarre il y a 25 ans, je suis alors militaire de carrière. Suite à une blessure assez grave je me suis retrouvé alité pendant 18 mois quasiment, puis 3 ans et demi en fauteuil roulant. J’étais déjà très attiré par l’informatique et j’en ai donc profité pour suivre des formations afin de retrouver, une fois que je m’en sortirais, à nouveau un travail. De l’autre côté, dans ma formation militaire, j’avais été formé à l’analyse comportementale et j’en avais gardé une grande appétence pour les sciences humaines.

J’ai tellement apprécié ce sujet que j’ai souhaité ensuite continuer à me former. J’ai eu 5 ans d’immobilisation (ou presque) pour me former en autodidacte sur les sujets liés au cerveau humain, aux biais cognitifs et plus largement ensuite aux Neurosciences. J’interviens d’ailleurs encore parfois en tant que conférencier sur le thème des biais cognitifs et sur les comportements humains, en intégrant l’éthique au cœur du débat sur le digital.

Pour finir sur cet engouement, je dirai que dans les années qui ont suivies, tous les sujets du digital m’ont attiré, ou presque. Je suis devenu accro à chaque verticale du digitale, chaque brique qui venait compléter cet écosystème très large et de plus en plus complexe. J’ai travaillé très tôt dans le domaine de l’internet, mais aussi très tôt dans la mobilité, sur les réseaux sociaux, sur l’ IA donc, sur les voitures autonomes, dans la réalité augmenté, etc etc … j’ai toujours voulu éprouver chaque sujet afin de pouvoir mieux en parler, acculturer, et en trouver au fond l’essence de l’utilité même du digital pour les Humains de demain.

Mais l’ IA a toujours eu une place à part … elle est celle qui peut re-structurer entièrement la société que nous connaissons aujourd’hui… Celle qui peut nous faire beaucoup de bien comme du mal.

CV - Aujourd'hui justement le sujet fait peur. Certains sceptiques pensent qu'il s'agit d'un destructeur d'emplois et d'autres comme vous, acteur influent du digital, pensent qu'au contraire, bien utilisé, il peut être un véritable apport quotidien pour l'Homme et pour l'économie. Qu'en pensez-vous ?

Je tiens à rappeler que l’IA existe depuis plus de 70 ans.

Le mouvement a démarré aux États-Unis avec deux approches (le connexionnime et le cognitivisme) mais aussi avec des hommes comme Alan Turing, qui poseront le socle (et les premières bornes) de ce qui deviendra donc l’ IA.

Tous ces ingénieurs se sont penchés sur la question de savoir comment automatiser certaines tâches sans valeur ajoutée, mais aussi sur la notion de traduction des pensées et du langage. Cela amènera d’ailleurs très vite Alan Turing à créer son fameux test basé sur un jeu d’imitation.

Pour moi aujourd’hui, l’ IA est et a toujours été, en résumé, qu’un grand programme d’automatisation de tâches induites par le cerveau humain dans une volonté de gain de temps. Programmées par l’homme, les IA ne font que ce que nous sommes nous-même capables de faire, mais en traitant une masse de data beaucoup plus importante dans un laps de temps beaucoup plus petit.

Pourquoi est-ce que je rabaisse ainsi cette terminologie … car de mon point de vue, l’intelligence humaine est beaucoup plus complexe que comprend aussi l’intelligence relationnelle, vos interactions émotionnelles avec les autres, votre part d’irrationalité aussi, ce qu’une IA ne peut toujours pas faire aujourd’hui.

L’IA c’est donc un énorme programme qui automatise les tâches du cerveau, s’appuyant sur une DATA massive dans le but de la traiter, la sublimer, l’exploiter allant jusqu’à « prédire » l’avenir. L’IA a cette capacité de traiter des informations massivement en un temps record là où l’humain mettrait beaucoup plus de temps.

On peut aussi ajouter que l’IA, dans sa version évoluée c’est-à-dire non plus dans sa capacité à traiter des données massives – usage sommaire – mais dans sa version « learning » est conçue maintenant pour apprendre. Donc à apprendre aux autres, ce qui est aussi une forme d’intelligence. Et grâce à des couches encore plus profondes, soit le « deep learning», elle peut aussi faire des corrélations… ce qui la rend en effet un peu plus intelligente qu’il y a 70 ans. Je m’amuse d’ailleurs parfois à comparer les trois niveaux de l’IA aux trois cerveaux humains (Reptilien, Limbique et NeoCortex)…

Dans son utilisation non maîtrisée une IA peut aussi devenir dangereuse. On peut citer cette expérience de l’IA de Microsoft (notre chère et tendre Tay) qui est devenue raciste, sexiste et xénophobe en passant quelques heures sur les réseaux sociaux (bon, mais il faut admettre qu’elle a subi des actes malveillants pour l’amener à cela).

L’IA reçoit aujourd’hui de la DATA brute qu’on lui transmet selon nos informations, nos habitudes, notre façon de formuler les choses… L’IA est uniquement dans le « mimétisme » ou la reproduction des biais humains sans aucune capacité d’analyser les informations d’un point de vue de l’éthique ou de la morale. Elle a une grille de lecture mathématique, binaire, qui la rend déficiente à ressentir. … Ressentir ! Ce qui nous permet à nous les humains d’arrêter d’analyser micrologiquement mais de humer, d’être macrologiques … de ressentir !

Alors devant cette perception humaine de l’intelligence artificielle et de sa froideur, voir d’histoires que l’on entend à son sujet, comme celle de TAY… eh bien en effet, les gens prennent peur. Mais je pense qu’à l’inverse, si on explique ce que peut amener l’IA de positif dans la société, alors les gens seront plus rassurés.

Mais pour clore ce sujet et cette question, je pense que nous sommes obligés de mettre des garde-fous et des limites à l’usage de cette IA.

"L'intelligence artificielle permet d'augmenter les capacités de l'être humain et non de le remplacer"

Tay intelligence artificielle

CV - Allons explorer maintenant ses usages positifs, en particulier dans le domaine de la santé. Quels sont les progrès réalisés et les apports de l'IA dans ce domaine ?

Globalement l’IA est utilisée très largement dans la santé, et elle est même de mon point de vue le point central de la médecine du futur. Sur ce sujet il faut bien sûr y mettre les fameux garde-fous dont nous parlions, mais si nous faisons les choses bien, nous n’aurons pas à regretter de l’avoir utilisée. Regardons ensemble quelques exemples précis :

Equadex et son projet HelPicto, une start’up accélérée par Microsoft qui fournit un logiciel d’aide à la communication entre des personnes présentant des troubles du langage et leur entourage. Dans ce cas précis, l’IA (et plus particulièrement la notion de deep learning, ici) va adapter le répertoire proposé au schéma de l’intellect de l’utilisateur et de son entourage pour améliorer ses interactions et donc son insertion dans la société.

Un autre exemple… depuis 2016, on entend de plus en plus parler de réseaux neuronaux qui travaillent sur la recherche de nouvelles protéines de synthèse, faisant ainsi gagner des années dans la composition de nouveaux médicaments. En parallèle des IA utilisent la data pour prédire l’arrivée de certaines maladies et leur évolution, dans le monde.

L’IA peut également lutter contre la désertification médicale que l’on rencontre dans certaines régions. Par exemple, alors que j’y étais responsable digital en 2012, la société DEGETEL avait créé l’ application mobile MélanOptic – permettant à des patients présentant des cas de mélanomes avérés de les prendre en photo, puis de l’envoyer ensuite dans un centre de traitement en IDF.

La donnée ainsi traitée permet au patient d’agir et d’accéder aux soins en fonction de l’évolution du mélanome et sans avoir à bouger de chez lui.

Vous voyez… juste trois exemples et clairement, pour moi l’IA permet d’augmenter les capacités de l’être humain, c’est sa véritable fonction.

Elle permet de rendre l’Homme encore plus responsable, mais aussi meilleur. L’IA permet de combler certains manques dans notre société. Du moins, bien utilisée.

Mais encore une fois, mal utilisée l’IA est capable aussi du pire. A nous de faire en sorte qu’on l’utilise pour de beaux projets comme ceux que je viens de citer.

CV - Existe t-il des organes de contrôle dans le monde de l'IA ?

Il n’existe aujourd’hui aucun moyen de contrôle de l’IA au niveau mondial. Et le problème réside là. Il y a quelques temps le père de l’internet lui-même, Tim Berners-Lee, et d’autres « grands » du digital, comme Elon Musk et d’autres grands acteurs des GAFA et des NATU se sont interrogés sur les dangers de la perte de contrôle de l’IA.

Selon moi il nous faudrait un organe international permettant de contrôler les usages de l’IA pour éviter les dérives. En ce moment, nous assistons à une guerre BATX contre GAFA – une sorte de rideau de fer de l’intelligence artificielle dont l’Europe est d’ailleurs plus spectatrice qu’actrice – donc avant d’en arriver à une guerre technologique désastreuse il faudrait selon moi anticiper et créer une juridiction capable de trancher plutôt que d’en subir les conséquences futures.

À propos

Arnaud Le Roux est actuellement conférencier, professeur et Conseiller au Numérique de la mission Ecoter.

Défenseur de l’éthique au cœur du numérique, Arnaud Le Roux est également membre de la brigade du web, un collectif de 9 slasheurs du Digital Français.

Enfin, Arnaud collabore avec eSight Eyewear, qui aide les malvoyants à retrouver la vue grâce à des lunettes connectées. 

Pour approfondir le Deep Learning –