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Crédit Suisse - « La Banque Centrale ne devrait pas cautionner les actes de mauvaise gestion de la part des banques. »

Économie – 11 janvier 2023

Nouveau séisme dans le monde bancaire, après la mise sous protection par l’Etat américain de la #Silicon Valley Bank, #Signature Bank ou encore #Silvergate. C’est désormais au tour de la banque d’affaires #Crédit Suisse, d’être placée sous le contrôle de l’Etat Helvétique. Sa gouvernance douteuse, une fois encore, a été mise en cause et vient s’ajouter aux prises de positions spéculatives prises par le mastondonte, avant sa chute. Malgré son récent rachat par #UBS, ce rapprochement préfigure-t-il d’une nouvelle facture à présenter aux citoyens helvétiques ? Michel Santi, économiste, et conseiller des banques centrales, nous répond depuis les Etats-Unis.

CV – Après la chute des trois banques américaines (ndlr : Signature Bank, Silvergate et Silicon Valley Bank), voici le tour du Crédit Suisse en Europe. Selon vous, est-ce un problème systémique lié aux récentes faillites du système bancaire américain ?

Michel Santi – C’est un ensemble de facteurs qui a conduit le Crédit Suisse à ce résultat. Jusqu’alors, les marges bénéficiaires des banques -précédemment au cycle de la hausse des taux – étaient minces certes, mais elles existaient car les banques centrales mettaient à la disposition des banques, de l’argent « gratuit ». Les divers établissements bancaires dans le monde occidental achetaient des obligations d’Etats, avec un rendement très bas, sur le long terme -trente ans environ- pour pouvoir bénéficier d’une rentabilité. Elles empruntaient à 0%, et prêtaient ensuite aux consommateurs avec une marge bénéficiaire.

Au fur et à mesure de la hausse du cycle des taux d’intérêts, les coûts du crédit sont devenus plus importants. Les banques centrales ont dû emprunter à des coûts progressivement plus élevés, ce qui a évidemment réduit leurs marges. Sachant qu’en parallèle, les demandes de crédits de la part des citoyens et des entreprises ont stagné, en raison principalement de la hausse des taux.

De plus, lorsque ces taux de crédits sont montés, mécaniquement les taux des obligations ont diminué. Et de facto, la valorisation de la masse de ces obligations portées au bilan des banques, a chuté. Evidemment, ce sont des pertes non réalisées, car ces dernières ne sont pas encore vendues, mais elles sont tout de même portées à pertes sur le bilan …Enfin, le Crédit Suisse présentait des fragilités sous-jacentes ; après le démarrage de la crise, elle est tombée comme un fruit mûr.

Michel Santi – Dans le cas du Crédit Suisse, ces ratios ont été respectés, voire même amplifiés ; ses ratios de liquidités court terme étaient plus importants que ceux réclamés par le régulateur. Mais y compris dans cas de figure, une banque ne peut tenir au-delà d’un certain niveau. En finalité, ce qui compte c’est la confiance que portent les épargnants et titulaires de comptes à l’ensemble du système bancaire. Nous savons bien que si ces derniers décident de retirer tous leurs avoirs au même moment, peu importe l’établissement bancaire et sa taille, il ne tiendrait pas trois jours.

« En finalité, ce qui compte c’est la confiance que portent les épargnants et titulaires de comptes à l’ensemble du système bancaire »

Michel Santi – Les méthodes de gouvernance actuelles doivent changer drastiquement. Les déboires du Crédit Suisse viennent d’une mauvaise gestion de la part de la direction, mais rappelez-vous, UBS en 2008, a elle-même frôlé la faillite, pour un défaut de gouvernance, mais également pour avoir violé la loi Suisse (ndlr : pour la transmission aux Etats-Unis de 300 noms de clients soupçonnés d’avoir fraudé le fisc américain).HSBC est également dans le collimateur.

De mon point de vue, ce n’est pas seulement la gouvernance des banques qu’il faut changer, mais surtout la gouvernance des banques centrales. Comme précisé dans mon ouvrage, une banque centrale ne devrait pas cautionner tous les actes de mauvaise gestion de la part des banques. C’est certes provocateur, mais selon moi, la gouvernance des banques centrales est totalement à revoir. Il n’est pas normal, qu’une banque telle que le Crédit Suisse, ait engrangé des pertes de plus de 130 milliards de francs suisses soit près de 20% du PIB Suisse ! Il faut revoir la gouvernance en profondeur, et notamment celles qui sont censées montrer l’exemple : c’est-à-dire les banques centrales.

CV - L’épisode final du rachat du Crédit Suisse par UBS, préfigure-t-il d’un coût à payer pour le peuple helvétique ? Va-t-il être impacté par ce rapprochement ?

Michel Santi – La Banque Centrale Suisse a émis une garantie de 50 milliards de dollars dans cette affaire. Nous ne savons pas encore, quel autre « squelette », se cache dans les placards du Crédit Suisse, c’est pour cela qu’UBS a exigé cette garantie. Il se pourrait très bien que celle-ci soit actionnée et qu’une nouvelle fois l’argent du contribuable suisse vienne au secours d’un établissement bancaire aux méthodes douteuses. Une fois de plus, nous assisterons alors à une socialisation des pertes totalement inadmissible.

CV - Selon vous, les banques centrales ne devraient plus venir au secours des banques... Mais les laisser en latence ne serait-il pas plus dangereux en termes d’impact systémique sur l’ensemble du système bancaire ?

Michel Santi – Pourquoi toujours venir au secours des banques, pour présenter la facture finale au citoyen ? De surcroit, lorsqu’un fait de mauvaise gestion est établi ? Rappelez-vous de cette manipulation très maladroite lors du sauvetage du Crédit Suisse, lors de sa fusion avec UBS, les porteurs d’obligations dites « CoCo » (1) ont dû accuser d’une perte totale de leurs investissements, et ces obligations ont été sacrifiées, pour une valeur totale d’environ 17 milliards de dollars. Ce sont d’abord les actionnaires, qui ont le devoir de supporter les risques. Pourquoi ce sauvetage doit-il au passage, sacrifier les porteurs de « CoCo» et non les actionnaires ? Aujourd’hui, les banques centrales doivent faire un choix cornélien. Elles ne peuvent plus à la fois lutter contre l’inflation, et contre le système bancaire. En choisissant d’augmenter leur taux, elles font le choix manifeste de protéger le système bancaire. Dans tous les cas de figure, le citoyen est perdant car la banque centrale n’agit plus avec détermination pour protéger son pouvoir d’achat. Il faut que les Etats agissent de toute urgence, et que les exécutifs mettent en place des systèmes efficients afin de pouvoir protéger les citoyens de toutes ces dérives.

Nota

(1) Tout en bas parmi les titres de dette, avec les chances les plus faibles de remboursement, figurent les «CoCo» (pour «Contingent Convertible»), aussi appelés «Additional Tier 1» ou «AT1», détenus par des investisseurs professionnels (banques, fonds).

Pour aller plus loin, vous pouvez lire l’ouvrage « BNS rien ne va plus : une banque centrale ne devrait pas ça »

Editions Fabre https://www.editionsfavre.com/livres/bns-rien-ne-va-plus/auteurs/