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Pierre Moscovici, Premier Président à la Cour des Comptes.

GRANDS ENTRETIENS – 11 janiver 2023

« Il faudrait réformer le PSC (Pacte de Stabilité et de Croissance) et entamer un changement de paradigme profond. »

Entretien avec le Premier Président de la Cour des Comptes

L’endettement de la France poursuit sa trajectoire vertigineuse pour atteindre le record de 3 000 milliards d’euros en 2023, soit 4,7 points de PIB. Les comptes publics sont marqués par la politique du « quoi qu’il en coûte », l’impact de la guerre en Ukraine ou encore par le choc inflationniste. Le budget de l’Etat est également impacté par des mesures prises par l’exécutif, jugées « trop optimistes » par Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, et président du Haut Conseil des Finances Publiques.

Face à une croissance en berne, comment infléchir cette tendance et redresser les comptes publics ? Quelles sont les marges de manoeuvre permettant d’atteindre le Pacte de Stabilité fixé par l’Europe ? Avons-nous encore les moyens de financer notre transition énergétique ? Autant de questions posées à Pierre Moscovici, lors de notre entretien à la Cour des Comptes.

CV – L’exécutif a lancé un vaste plan intitulé « France 2030 » dont l’un des volets concerne la décarbonation des entreprises françaises. 5,6 milliards d’euros ont été mis sur la table, dont 610 millions d’euros consacrés à la recherche de solutions technologiques. Avons-nous réellement les moyens de financer cette mesure ?

Pierre Moscovici : Nous devons le faire, par une mesure équilibrée de nos comptes, en allant chercher les économies là où les dépenses ne sont pas de qualité, pour financer cette mesure indispensable. Ceci est rendu possible en diminuant la part des investissements « non essentiels ». Il y a aujourd’hui de véritables problématiques de répartition des budgets. Il faudrait aller vers davantage d’aides en faveur des collectivités locales, qui assument seules le contexte économique fragile ; plus de budget pour l’éducation nationale ; et bien évidemment plus de moyens pour accompagner la transition énergique de notre pays. Toutefois, financer les investissements de demain exige de faire reculer la dette.

CV – Depuis mars 2020 et l’activation de la clause dérogatoire générale du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC), les règles européennes de gouvernance des finances publiques sont suspendues. Que risque la France lors de la levée cette clause, prévue en 2024 ? Ramener le déficit à moins de 3 % du PIB en 2027 dans le contexte actuel, est-ce un objectif atteignable selon vous ?

Pierre Moscovici – Cette clause dérogatoire a été mise en œuvre dans le contexte de la crise du Covid (1), avec une année de décroissance, et de récession. Le temps est venu de rétablir les choses pour le bon fonctionnement de nos institutions. Sur ce point, il faut faire confiance à la sagesse collective. Mon avis est qu’il faut réformer les règles, avant de les remettre en place, car elle si elles sont mises en oeuvre en l’état, cela ne fonctionnera pas. A titre d’exemple, la part structurelle du déficit, à 4 points du PIB est nettement supérieure à l’objectif de moyen terme que le gouvernement s’est fixé dans le cadre du PLF 2023-2027 (ndlr : -0,4 du PIB). Il faut en priorité faire reculer la dette publique et favoriser les investissements.

CV- Quelles sont vos préconisations pour que l’Europe puisse « réviser » le Pacte de stabilité et de croissance ?

Pierre Moscovici – Il faudrait une véritable réforme et une discussion autour de ces propositions, avec les niveaux d’appréciation entre la France et l’Allemagne, que nous travaillons à résorber. Les règles de la zone euro fixent des critères communs de gestion de nos finances publiques. En entrant dans l’euro en 2000, la France avait 58 % de dette publique dans le PIB, l’Allemagne 58 %. Plus de 20 ans après, la dette publique de l’Allemagne a augmenté de 8 %, celle de la France de 55 % (2). Nous sommes deux pays membres qui divergent par rapport aux autres. La dette publique paralyse l’action publique. En 2027, le service de la dette, donc la charge de remboursement, sera de 71 milliards. Cela deviendra le premier budget de l’État. Or chaque euro consacré à la dette, c’est un euro perdu pour la cause, c’est une dépense congelée qui bloque les investissements dont on a besoin. Mon souhait est que nous puissions retrouver des règles claires, et donc clore cette phase de suspension dérogatoire, afin de poursuivre avec des règles plus intelligentes, plus flexibles, et donc plus lisibles, et qui responsabiliseront davantage les Etats Membres. Si d’aventure, on ne parvenait pas à un consensus, alors la question se posera de savoir si nous devons revenir aux précédentes (ndlr : PSC à 3% du PIB), ou différer une nouvelle fois la levée de cette clause exceptionnelle. Selon moi, il faudrait réformer le PSC et entamer un changement de paradigme profond.

Fiscal policy guidance for 2024 >   

2. Courbe de progression de la dette publique. Source : Cour des Comptes