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RSE et bien commun, vers une dynamique de développement des territoires

Économie – 14 janvier 2019

Il est de ces rencontres qui changent votre vision du monde. Perception à la fois profonde et pragmatique – loin de ces acteurs normalisés et conservateurs – des individus, citoyens avant tout, engagés et humanistes, qui luttent en silence pour le bien commun. Florence Lacave en est l’une de ces actrices. 

Experte en matière d’emploi, Fondatrice d’Entreprise en Vie, de l’agence RP Entrepreneurs et plus récemment de la plateforme innovante ERS Concerso, nous l’avons interrogé afin de comprendre son engagement en faveur de l’emploi et du développement de l’ERS sur le marché Français et International.

Portrait

CV - Florence Lacave, vous avez développé une offre innovante sur une économie dite « responsable et solidaire » - Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Très jeune, j’ai été préoccupée par la question de la création d’emploi et, à peine sortie de l’université, j’ai cherché une réponse que j’ai immédiatement trouvé au coeur de l’économie de proximité, cette économie pragmatique qui nous aide à comprendre une logique simple : il n’y a pas d’emploi sans création de richesses, il n’y a pas de création de richesses sans offres, il n’y a pas d’offres sans compétences, il n’y a pas de compétences sans métiers et enfin, il n’y a pas de métiers sans Hommes. Cette logique simple m’a été répétée quasi systématiquement pendant mes 27 ans d’échanges avec des citoyens professionnels, collaborateurs et dirigeants d’entreprises, pour la plupart artisanales, TPE et PME. Il m’a semblé alors évident que la création d’emploi répondait à une logique de bon sens d’une économie pragmatique qui apportait une complémentarité majeure aux politiques de l’emploi, pilotées par nos institutions. 

Tout simplement parce que l’emploi est une situation vécue par des hommes et des femmes de métier qui revendiquent leur part de responsabilité personnelle dans l’emploi, mais aussi leur part de solidarité collective. J’ai naturellement reproduit ce parcours « métier emploi » et j’ai créé un modèle RSE vivant et dynamique : l’ERS, l’Entrepreneuriat Responsable et Solidaire. Inverser la combinaison des trois lettres pour que la « valeur responsable » soit attribuée à la personne et non à l’entreprise permet de mesurer la contribution citoyenne de chaque professionnel qui devient alors un bien commun sociétal reconnu par le plus grand nombre. 

Placer la valeur responsable personnelle à l’origine de toute création d’emploi, c’est offrir une considération à chacun, c’est libérer la part de bien personnel dans l’emploi, c’est comprendre qu’il n’y a pas de RSE, ni de bien commun efficace dans l’économie sans une traçabilité d’origine humaine responsable et solidaire. L’ERS est un générateur sémantique humaniste développé à travers une plateforme analytique, pédagogique et médiatique pour l’emploi des générations futures et le « Mieux Vivre Ensemble ». Véritable place de marché de l’emploi intergénérationnnelle et inter-territoire, la plateforme Concerso , et son générateur sémantique ERS démontre par sa logique que l’emploi se mesure, s’apprend et se valorise, comme une langue vivante, comme une matière d’enseignement où chaque citoyen professionnel existant est un mentor capable de transmettre sa valeur « emploi » à n’importe quel citoyen professionnel future « apprenant ». 

Le bien commun se propage par la transmission responsable et solidaire du bien personnel de mentors à apprenants : l’emploi devient une donnée sociétale qui alimente un nouvel indicateur de création de richesse complémentaire au PIB.

CV - Quelles sont ses particularités et surtout ses oppositions avec le modèle classique de l'ESS✱ basé sur une économie d'utilité sociale disposant d'un ancrage local adapté aux territoires ?

L’économie est un eco-système de création et de partage de richesses et l’ESS a pour objectif précisément d’apporter ce modèle plus juste dans le partage des richesses. Le modèle ERS vise les mêmes objectifs, mais il apporte un complément essentiel, la bio-dynamique à la source des éco-systèmes. En résumé, nous pouvons dire que l’ERS modélise la bio-dynamique humaine qui génère l’éco-dynamique des organisations, alors que l’ESS reste dans une definition systèmique de l’économie, même si elle l’intègre dans des valeurs sociales et solidaires.

CV - Experte éprouvée de l'emploi en France puis à l'International (axe Europe Afrique) vous avez eu à développer l'ERS Concerso✱ à l'étranger - notamment sur le territoire Malien - En quoi ce développement a t-il consisté un apport complémentaire pour votre modèle et quels ont été ses applications concrètes sur le marché de l'emploi ?

La logique de l’ERS s’est construite de façon empirique au coeur des territoires de l’économie réelle. C’est le modèle artisanal qui a été le premier de cordée avec la coiffure, la boulangerie et la boucherie, dans les villes françaises mais aussi dans les territoires enclavés (villages et quartiers difficiles). Nous avons ensuite alignés ces secteurs avec l’ingénierie, la finance, le conseil, l’agro business. La part de bien personnel « métier » et de bien commun « emploi » se mesure de façon identique à Paris, à Brest, à Bamako (Mali) ou encore à Temara (Maroc). La coiffure par exemple en France c’est 192 000 actifs et 40 000 jeunes formés chaque année. C’est la première entreprise de France en nombre d’emplois créés dans les territoires qui ne connaît pas le chômage. C’est l’économie populaire la plus créatrice de richesses « emplois » et la plus dynamique en terme de partage par la transmission. 

Et pourtant, c’est un secteur où le citoyen professionnel n’est absolument pas reconnu et donc pas considéré à sa juste valeur « sociétale ». Car ni la RSE, ni l’ESS ne peuvent mesurer ce que l’apprentissage métier avec un CAP métier peut apporter à une nation toute entière en terme d’emplois. Si nous voulons produire plus d’emplois, il faut savoir produire un résultat humain, où la valeur « transmission » génère la dynamique de création d’emplois. 

Concrètement, l’ERS au Mali a généré dans le secteur de la coiffure une valeur « considération » avec une prise de conscience que l’emploi est un pouvoir sociétal partagé et transmissible ; il peut faire évoluer le pouvoir de création de richesses, donc de partage des richesses. C’est la même valeur « considération » recherchée par tous les citoyens professionnels du monde. Entreprises, organisations professionnelles, écoles de formations, universités et ministère de la formation professionnelle, plus de 50 institutions ont reconnu la valeur du bien personnel métier et du bien commun Emploi ERS portée par les citoyens professionnels au Mali.

"Si nous voulons produire plus d'emplois, il faut savoir produire un résultat humain, où la valeur "transmission" génère la dynamique de création d'emplois".

CV - Dans une société devenue de plus en plus individualiste, comment selon vous, l'ERS✱ pourrait-il générer du bien commun ?

C’est en comprenant l’emploi comme une donnée d’échange humaniste, facilement transmissible dans sa logique parcours « métiers emploi » que nous pouvons comprendre l’emploi comme une donnée de bien commun ; c’est une donnée tout à fait unique, dont l’ADN est faite d’un contenu complexe, multiforme et aléatoire. 

60 % des métiers aujourd’hui n’existeront plus en 2040, parce qu’ils auront pris des formes différentes ou parce qu’ils auront été inventés. C’est la donnée la plus humaine qui soit car cette transition des métiers est créée par l’homme à sa source, même si elle se mécanise ensuite par la numérisation ou l’intelligence artificielle.

L’emploi est une chance pour l’humanité si on régule son système de valeur par le vivant humain avec une traçabilité d’origine contrôlée ; c’est bien l’apprentissage métier qui se transforme en compétences acquises grâce à l’emploi, qui reste une situation vécue en mouvement potentiel ou réel. C’est probablement l’enjeu majeur dans la transition économique et professionnelle

Si le citoyen professionnel est considéré et sa valeur tracée et mesurée dans l’emploi comme valeur de partage avec les générations futures, nous aurons une équation évidente où le bien personnel « métier » pourra se transmettre et se propager à l’infini comme valeur de bien commun. C’est comme cela que depuis la nuit des temps, l’excellence métier s’est apprise et s’est transmise, c’est le modèle des compagnons du devoirs en France, le modèle de l’entrepreneuriat autodidacte métier que l’on retrouve massivement dans l’économie informelle en Afrique ; c’est le modèle que les générations futures vont pouvoir construire et faire émerger à travers une nouvelle citoyenneté économique et sociétal.

CV - Nous vivons actuellement une révolution technologique sans précédent, dont l'Intelligence Artificielle en est l'organe principal - Selon le rapport Villani✱ de 2018, deux tiers des Français ignorent ce qu'est un algorithme et la même proportion déclare avoir peur de l'intelligence artificielle - Comment dresser un pont entre ces deux digues pourtant si complémentaires ?

L’IA est l’organe principal d’une révolution technologique et les algorithmes réussissent à mécaniser des modèles économiques ultra dominants tels que les GAFAM, BATX, NATU etc. Les deux plus grosses économies du monde, les États-Unis et la Chine, se livrent une bataille sans précédent pour créer encore plus de richesses, souvent mal partagées. Jeff Bezos, l’homme le plus riche au monde et fondateur d’Amazon, la plus grosse entreprise au monde, en est l’exemple le plus flagrant, comme d’ailleurs Jack Ma, fondateur d’Alibaba, l’homme le plus riche de Chine.

Ces exemples « hors sol », sont les plus belles réussites économiques et financières de la révolution technologique, mais ce ne sont pas les plus belles réussites entrepreneuriales responsables et solidaires de la révolution économique et professionnelle. Ou du moins pas plus qu’un artisan, un commerçant, un agriculteur ou encore, un ingénieur qui se sentira considéré dans une communauté de plusieurs milliards de citoyens professionnels. L’IA ne peut pas remplacer l’intelligence humaine qui restera maître de la citoyenneté économique et sociétal.

Nous savons que les systèmes économiques ultra mécanisés par la finance, comme les systèmes ultra numérisés peuvent être des machines dominantes où l’humain est dévalorisé ; Dominic Barton, l’ancien DG de Mc Kinsey a déclaré que « seulement 2% des collaborateurs sont moteurs de la création de valeur dans une entreprise » ; si vous interrogez Alain Viot, PDG du Groupe Mod’hair dans la coiffure, 1/3 des salariés qui sont recrutés dans une franchise deviennent patrons d’une franchise Mods’ Hair. On passe ainsi de 2% dans l’économie dont parle Dominic Barton à 30% dans l’économie de Mods’Hair. Et ce chiffre pourraitbien  passer à 50% chez Mods’Hair si la coiffure était mieux valorisée.

Ce qui fait peur dans l’IA c’est que dans le cas cité par Dominic Barton, ce serait bien 98% de la richesse des GAFAM, BATX ou encore des NATU qui est produite par de l’IA et ses algorithmes. Cette peur est légitime et doit imposer des règles où l’intelligence humaine (IH) doit garder la source génératrice de valeur et l’IA doit être une intelligence secondaire, utile.

"L'intelligence humaine (IH) doit garder la source génératrice de valeur et l'IA doit être une intelligence secondaire, utile".

Le solfège attribut une valeur des notes : la blanche vaut deux temps alors que la ronde vaut quatre temps. Si l’on devait imaginer une valeur unitaire emploi, L’IA vaudrait 0 si l’IH n’est pas considérée comme étant la source de la valeur 1, moteur créateur de la valeur emploi. Pas de valeur IA si la valeur IH n’est pas tracée, mesurée, sécurisée ! Tout cela est très « scientifique » certes, mais pas d’économie hors sol, du réel, du vivant, sans l’humain …

CV - Lors de la déclaration de Montréal pour une IA responsable, il a été question de placer des principes tels que le bien-être, l'autonomie ou encore la responsabilité au coeur du débat; puis de la signature du pacte qui s'en est suivi - Êtes-vous de ceux qui prônent pour une IA✱ responsable ?

L’IA responsable n’existe pas en soi ; dans une économie réelle, c’est l’IH qui est responsable, et parce qu’elle est responsable, elle s’assure de ne pas déconsidérer la valeur humaine comme source génératrice de création de valeur au profit de l’IA. L’IA peut en revanche reproduire, imiter et propager par des mesures et des algorithmes inspirés de la puissance de l’IH, son pouvoir sociétal, citoyen et humaniste. 

Il est de notre responsabilité de créer des nouveaux modèles de mesures de cet humanisme nouveau, celui qui fera « pousser » des emplois plus responsables et solidaires dans nos territoires professionnels, ceux qui occupent encore aujourd’hui plus de 96% de l’espace économiques du monde et qui manquent encore cruellement de considération. 

Les algorithmes pourront aider à propager une nouvelle chaîne de valeur, s’ils intègrent la considération humaine, sa part de bien personnel et de bien commun. Avec l’unité de valeur emploi dans le modèle ERS que nous proposons.  

CV - L'entrepreneuriat peut-il selon vous, représenter une dynamique positive pour un changement de paradigme ?

L’entrepreneuriat est une dynamique d’action positive qui n’a d’intérêt que si elle permet l’engagement et l’ancrage de la valeur humaine dans une action concrète pour le plus grand nombre. Tous les statistiques démontrent que 50% des jeunes aimeraient devenir entrepreneur. C’est probablement l’envie d’être considéré et respecté dans la chaine de valeur de l’économie qui les pousse à vouloir s’engager dans l’entrepreneuriat. 

La loi votée en juin dernier en France à l’Assemblée Nationale  sur « la liberté de choisir sa formation professionnelle » est un pas important fait dans le sens des générations futures pour leur autonomie, leur émancipation et certainement leur épanouissement dans le travail. 

C’est effectivement un changement de paradigme, tout simplement parce qu’on change la place de la valeur responsable que l’on centre sur la personne et non plus sur les systèmes.

NDLR (note de la rédaction) – Définition de l’ESS – Comparativement à l’ERS – nouveau modèle institué par Florence Lacave à travers sa plateforme « ERS Concerso* » – modèle inclusive  –

Pour allez plus loin sur le sujet, voir également la dernière loi Pacte votée le 5 octobre dernier à l’Assemblée Nationale, sur les entreprises à mission – 

À propos

Florence Lacave est fondatrice de la plateforme inclusive « ERS Concerso* » –

Elle est également membre du Bureau du Conseil de développement de la Métropole du Grand Paris et Membre du Collège Entreprises du Conseil des Générations Futures de la Ville de Paris.

Pour soutenir son action et participer au développement de la plateforme sur de nouveaux territoires, un seul  – contact@ers-org.io